mardi 28 novembre 2017

La restitution des biens culturels, le Bénin entre audace et dépendance.

 

Le Bénin réclame ses biens à la France: entre audace et dépendance.

Depuis l’été 2016, la question de la restitution des biens culturels du Bénin gardés par la France est évoquée par le Gouvernement de Patrice Talon. Le Conseil des Ministre du Mercredi 27 juillet a annoncé la décision de la demande de rapatriement de ces biens culturels. La simple annonce fait couler beaucoup d’encres et de salives tant au Bénin, en France que dans le monde. Une divergence de points de vue s’active autour de la question. Pour certains béninois et français, le Bénin ne dispose pas des meilleures conditions de conservation durable de ces biens une fois retournés. Cet argument pourrait encourager la France à ne pas céder. Par contre d’autres (majoritaires) pensent que la France doit reconnaître au Bénin le droit de propriété sur les biens qu’elle garde et vend sur son territoire, ensuite les restituer. Pour quelques professionnels, la démarche paraît plus délicate et difficile aux plans juridique, diplomatique voire politique, qu’on croirait. Du contexte de départ des objets culturels à leur restitution, plus “d’un siècle“ de difficultés affrontent la démarche du demandeur.
Contexte de départ des objets : les objets réclamés ont-ils  le même parcours ?
Nos enquêtes sur le départ des biens culturels prouvent que ces derniers qui se retrouvent sur le territoire européen en générale et particulièrement en France, n’ont pas un parcours uniforme. Bien d’objets sont donnés comme cadeaux par les Rois eux-mêmes, en guise de générosité ou de reconnaissance ou encore en signe d’amitié. Ces cadeaux avaient essentiellement pour destinations, la France, l’Allemagne, le Portugal, le Brésil. C’est le cas de quelques récades de Roi de Danhomè. D’autres objets sont vendus par des princes aux étrangers blancs qui cernaient déjà à l’époque toute la valeur culturelle du bien acheté. Plusieurs œuvres sont aussi volées par des autochtones sur demande des étrangers ou par des touristes et autres visiteurs indélicats qui les emportèrent discrètement et facilement sans aucun contrôle. Enfin il y a les biens qualifiés de butins de guerre ou trophées de guerre. Ceux-ci proviennent la plupart des familles d’anciens militaires ou combattants français et d’autres nationalités. Ils sont pour la plupart conservés dans les musées publics de France. En dehors de ceux qui ont fait confiance à l’Etat français en déposant des objets soit de leurs parents ou directement amenés par eux de l’Afrique ou du Bénin, le grand nombre à l’ancien musée de l’homme aujourd’hui au Quai Branly, ou au musée de Trocadéro… bien de pièces patrimoniales parties du Bénin se retrouvent pêle-mêle en France ou sur le territoire européen et détenus par des individus non identifiés à ce jour. Il faut souligner que depuis que les occidentaux ont commencé par fouler le sol africain, ils découvrent la valeur des objets qui ne représentaient pas grand-chose aux yeux des africains comparativement aux pièces de monnaie que leur remettaient le blanc en échange. Ainsi de façon illicite, des millions de biens culturels ou biens patrimoniaux sont partis. Le témoignage d’un artisan sur un cas de restitution au Centre de Promotion de l’Artisanat de Cotonou nous permettra d’aborder la problématique de la quiddité des objets culturels emportés. Selon Nonvi Gogo, un blanc est revenu rendre à un artisan un objet qu’il a acquis plus d’un an avant. Le blanc dont nous taisons la nationalité, aurait laissé entendre « Reprenez votre chose, je n’en peux plus. Depuis plus d’un an je ne dors plus la nuit. Il hante toute ma maison. Il chante, et fait venir d’autres esprits qui dérangent mon sommeil… Ne vous inquiétez pas pour l’argent. Je ne veux rien en échange. J’ai attendu mes vacances pour revenir et juste vous le retourner. Au revoir monsieur… » 


Il jeta l’objet à son vendeur et partit. L’artisan vendeur ayant touché le bien revenu, capta une énergie qui le paralyse et finit par l’emporter  de ce monde. Ce témoignage prouve que certains biens culturels sont chargés d’attributs immatériels qui ont dans leur environnement originels un rôle à jouer en faveur de leurs communautés. Tous les objets partis ne sont donc pas que culturels. Il y en a qui sont cultuels et chargés de sens symbolique pour leur société. Les ôter de leur lieu initial est une dénaturation qui porte atteinte à leur intégrité. Autres exemple édifiant. Les pratiques rituelles autour de l’héritage légué par les Rois du Danhomê (actuel Abomey), sont perpétuées à ce jour par les familles princières des lignées royales d’Abomey à Honmê singbodji (Palais principal des Rois), situé au Musée historique, l’une des quatre vingt trois composantes du site des palais royaux d’Abomey classé patrimoine mondial depuis le 6 décembre 1985. Supposons que les biens restés qui servent pour les rituels soient eux aussi emportés. Ces pratiques sociales auraient disparues peut-être ou continueraient autour d’objets-copies. Le site des palais royaux d’Abomey aurait perdu en intégrité et en  authenticité. Il serait moins vivant qu’il l’est aujourd’hui.
« Il y a environs deux ans, un lion symbole du roi Glèlè a été proposé au musée du Quai Branly. Naturellement l’institution a demandé le parcours de l’œuvre. Le vendeur ayant compris la contrainte, s’est retiré et quelques mois plus tard, le même objet est soumis à une vente aux enchères à Barbès au Châteauroux et cédé à un prix d’or. Ni l’acheteur, ni le  vendeur n’est encore vraiment identifié à ce jour. » selon, Gabin Djimassê, directeur de l’office de tourisme d’Abomey, Conseiller Municipal et président de la commission coopération culturelle et décentralisation. Selon lui, les objets partaient en Europe et sur d’autres destinations bien avant la colonisation. La France ne détiendrait pas l’ensemble des objets déportés, mais la majorité.  
La restitution de quels biens culturels alors?

Le Conseil des Ministres du mercredi 27 juillet 2016 a annoncé la décision de l’Etat béninois de demander officiellement à la France, la restitution des biens culturels qu’elle détient sur son sol. Cette  nouvelle a enchanté tous les béninois ayant un amour pour leur patrie. La décision n’a pourtant pas explicité les biens dont il s’agit. Quand on sait que les biens n’ont pas le même parcours, la question de quels biens s’agit-il mérite d’être posée. Soit, les profanes du domaine du patrimoine culturel comprennent moins la précision. Car «le  Yovo » qui signifie « le Blanc » est systématiquement considéré comme le « yovo français »… Nous avons essayé de savoir à titre indicatif quelques biens partis du royaume du Danhomè. Qu’ils soient exposés ou maintenus dans les réserves de collections des musées et galeries français, ils sont identifiés patrimoine du Bénin, mis à part toutes considérations. Le trône du Roi Guézo (1818-1858) est en tête de l’exposition civilisations africaines du musée du Quai Branly, avec bien d’autres objets tels que les botchio (statuettes sacrées aux pieds desquelles les guerriers dahoméens faisaient des promesse de guerre) des Rois Béhanzin, Glèlè et Guézo ; les costumes de Béhanzin, et Glèlè, des récades et d’autres attributs royaux. Au Quai Branly, même les murs de séparation des salles d’exposition sont inspirés des murailles ocres épaisses en terre latéritique cuite des palais royaux d’Abomey. Et si les murs étaient des biens meubles, peut-être que le patrimoine bâti de ce royaume serait aussi parti. Il faut payer 9 euros en tarif plein pour visiter et contribuer à l’économie française. D’autres biens jamais exposés ou temporairement exposés, existent en plus grand nombre. On peut citer, le trône de Béhanzin prêté par la France à la Fondation Zinsou en 2006 dans le cadre de la célébration du centenaire de ce Roi qui a marqué le colon. En 1989, le trône du roi Glèlè (1858-1894) a été sollicité en vain par le Bénin pour la célébration du centenaire de ce Souverain. Il est gardé en France. La porte en deux battants donnant accès au tombeau du roi Glèlè est en France. Le chapeau en perles abéti confectionné pour le prince héritier Ahanhanzo par son père Glèlè, est emporté par les français. Il y a pleins de récades, des autels portatifs, des tentures en toile appliquée originales en double faces dont la technique et le savoir-faire ont disparu à Abomey. Il y a une panoplie de bijoux emportés. Se référant à la thèse publiée le 25 novembre 2015 par Gaëlle Beaujean qui a fait un travail d’inventaire des biens culturels du Danhomè conservés au musée du Quai Branly, on peut avoir une idée presque exhaustive de la quantité d’objets que cette institution pourrait à elle seule, déclarer au processus de restitution. Dans tous les cas, le Bénin même s’il entretient toujours des relations de subordination avec la France l’ancienne patrie-mère, a le droit voire le devoir de revendiquer ses biens. N’en déplaisent à ces marionnettes télécommandées et en mission pour une deuxième patrie et qui estiment que le pays ne dispose pas des conditions adéquates pour accueillir lesdits biens. La réclamation est d’abord un devoir avant d’être un droit. Mais elle serait plus aisée si le pays de Patrice Talon avait pu ratifier toutes les conventions relatives à la protection des biens et éléments comme patrimoine culturel. Notamment la convention Unidroit qui impose aux Etats-parties de se restituer les biens retrouvés sur chaque territoire. Aussi, le Bénin a-t-il l’impératif démarche de procéder à l’inventaire général de tous ses biens, car doit on savoir que chaque jour que Dieu fait, d’autres biens non moins important partent sans traces du territoire national au détriment de la non application de la Loi 2007-20 du 23 août 2007 portant protection du patrimoine culturel et du patrimoine naturel à caractère culturel en République du Bénin. Si rien n’est fait aujourd’hui, la même amertume risque de se répéter d’ici une décennie. Quel héritage voudrons-nous transmettre aux futures générations. Le Gouvernement doit prendre en charge efficacement ce qui reste en matière de patrimoine culturel sans hypocrisie et tenir bon dans ce défi qu’il lance à la puissante France. Advienne que pourra.


Happy Sylvestre GOUDOU




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire